Le Grand
Canal du château de VERSAILLES
Lorsqu'il
fait tracer son parc par Le Nôtre autour du château
de son père, Louis XIV ne dispose que de terrains informes
et de marécages. Avec son jardinier le plan est défini
petit à petit.
En tout cas, dans
son parc le souverain veut beaucoup d'eau, et l'a fait arriver de toute part au
prix de travaux gigantesques. Les bassins et les fontaines se multiplient. L'idée
prend corps de prolonger la perspective du Tapis Vert pour former une pièce
d'eau de grandes dimensions. Long de 1600 m et large de 60 m (davantage aux extrémités),
le canal comportera plus tard un bras transversal de 1050 m (600 m à gauche
vers la Ménagerie et 450m à droite vers Trianon). Les terrassements
ont fait remuer environ 300 000 m3 de terre. En 1668-1669, quelque 200 000 livres
ont déjà permis de préparer un premier bassin. Les travaux
seront terminés en 1672.
Création de la flotte
Par ailleurs, Louis XIV est convaincu par Colbert et par
son fils Seignelay de l'intérêt de disposer d'une marine digne de
ce nom pour faire pièce à l'Angleterre et à la Hollande.
Afin d'illustrer cette volonté politique, il décide de faire évoluer
près du château, sur ce nouveau plan d'eau, une réplique en
miniature des vaisseaux qu'il fait réaliser dans les ports. Il veut aussi
pouvoir faire étudier sur place les améliorations de la construction
et de l'armement des navires. La première flottille Au
printemps de 1669, les travaux ont déjà permis de mettre à
l'eau neuf embarcations, dont les noms et les couleurs sont, à eux seuls,
pleins de charme : le brigantin, décoré d'un brocart bleu, or et
argent ; trois chaloupes, garnies chacune d'un damas de couleur différente,
la chaloupe verte, la chaloupe jaune, la chaloupe bleue ; la felouque napolitaine,
en damas violet ; la chaloupe biscayenne, en damas rouge ; une petite chaloupe
verte et blanche, en brocart à fond d'argent, ; une petite chaloupe rouge,
en damas rouge broché d'or ; enfin une petite berge, plus spécialement
destinée à Monsieur et Madame, dont elle porte les chiffres brodés
sur le velours de ses garnitures. Une galiote est transportée dans le courant
de 1669 de Saint-Germain à Versailles ; une autre est construite sur place,
en même temps qu'un grand vaisseau, dont les structures, les dorures, les
petits canons, les pavillons, les flammes, banderoles et pavesades offrent l'image
brillante d'un navire de guerre en miniature ; les quatorze fenêtres et
les trois portes du vaisseau royal sont garnies de gros de Tours cramoisi ; sa
table pliante, ses trois fauteuils et ses douze tabourets sont couverts de brocart
d'or et d'argent. Des mariniers sont engagés et même des galériens
sont amenés sur le Canal, dont le succès est grand dès l'origine. Première
extension du Canal (travaux de 1671 et 1672) L'élargissement
et l'allongement de cette extraordinaire pièce d'eau deviennent inévitables
et constituent une seconde étape ; ils sont jugés nécessaires
à la majesté de la perspective ; ils procureront, par une croisée
des deux grands bras, des buts de promenade à la flottille : la Ménagerie
à gauche, le petit château qui vient de sortir de terre à
Trianon à droite. Tuby reçoit en même temps la commande, pour
orner la tête du Canal, auprès du Bassin d'Apollon, de deux énormes
chevaux marins surmontés d'enfants, que Le Brun a dessinés et qui,
jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, seront visibles du château. Aux
officiers et matelots français se sont ajoutés en 1674 quatre gondoliers
vénitiens, la Sérénissime République ayant trouvé
bon de faire sa cour au roi de France en lui offrant pour son Canal deux gondoles
dorées, parmi les plus belles qu'on eût jamais construites à
Venise. En 1675 deux "yacks" ont été construits
en Angleterre sur l'ordre de Colbert et dorés à Versailles par La
Baronnière en 1677. Six chaloupes nouvelles, "voiturées"
par eau de Rouen au port de Louveciennes, puis par la route jusqu'à Versailles,
sont enrichies de sculptures par Caffiéri, peintes, dorées et garnies
de damas qui donne à chacune sa couleur particulière : rouge, verte,
blanche, jaune, bleue, aurore. En même temps, des rampes pour faciliter
l'accès aux débarcadères sont construites tant à Trianon
qu'à la Ménagerie.
Développement
de 1680 La flottille continue à se développer ;
une organisation parfaite augmente encore l'agrément que tire Versailles
de cette étonnante création. Une galiote dorée venue de Rouen
en 1679 et une autre de Dunkerque en 1682, un nouveau "yack" peut-être
en 1682, un vaisseau que le marquis de Langeron a construit sur place avec du
bois venu d'Amsterdam et avec l'aide de charpentiers venus du Havre et que le
Roi veut mettre à l'eau au mois d'août 1685 , une galère également
construite à Versailles et un "heu" hollandais en 1686, une gondole
et une piotte "construites de neuf " en 1687 ajoutent encore à
l'attrait du Canal. C'est probablement pour le "vaisseau Langeron" que
les Keller livrent en 1686 treize pièces de canon et six livres de balles.
Un radoub et des pontons d'embarquement sont établis en 1681-1682. Le
personnel Les mariniers, appelés le plus souvent de Poissy,
du Pecq ou de Saint-Cloud sont remplacés enfin par des équipages
fixes. En 1684, le personnel du Canal comprend : un capitaine, un lieutenant,
un maître, un contremaître, onze matelots, six gondoliers dont quatre
Vénitiens et deux "nouvellement venus de Toulon", huit charpentiers
dont deux Italiens, "charpentiers de barque vénitienne", deux
calfats, plus, à titre passager, des scieurs de long. Le logement
des matelots, installé entre le Canal et Trianon, sera bientôt remplacé
par un véritable village connu sous le nom de Petite Venise, pour laquelle
on construit de nouveaux logements en 1684.
Divertissements
Le
Canal semble offrir à Louis XIV une compensation naïve
des insuccès de sa politique maritime. Que de fêtes
le Roi n'a-t-il pas données en utilisant ce cadre extraordinaire
! Citons cette relation des Mémoires du marquis de Sourches,
en juillet 1685, pour le mariage du duc de Bourbon, fils de M. le
Prince et petit-fils du Grand Condé, avec Mlle de Nantes,
fille du Roi et Mme de Montespan : "Sa Majesté monta
en carrosse avec toutes les dames
, alla s'embarquer sur le
canal sur lequel toute cette belle compagnie se promena jusqu'à
dix heures du soir dans des barques magnifiques qui suivoient un
yack dans lequel étoit toute la musique du Roi avec des timbales
et des trompettes, chantant et jouant des airs de la composition
de Lulli."
Les
réjouissances sont offertes aux personnalités étrangères.
Aucune autre cour ne peut afficher un tel faste. L'hiver, le Canal offre
un plaisir nouveau, celui des promenades en traîneaux.
Après
la fin du règne Le canal et sa flotte coûtent des
sommes considérables, qui dépassent les possibilités du trésor
royal. Les fêtes s'espacent et le matériel se dégrade. Napoléon
tente de les reprendre, mais les relations avec Venise se tendent fortement. Actuellement
il reste encore de la Petite Venise un petit bâtiment restauré. Les
visiteurs qui y passent se doutent-ils, en voyant le grand plan d'eau, qu'au temps
du Roi Soleil se déroulaient ici des spectacles navals féeriques
animés par des matelots et de brillants gondoliers ?
Textes
extraits de l'ouvrage de Pierre Verlet : LE CHATEAU DE VERSAILLES, Fayard 1998 Photos
: Jean-Louis CHAUVIN (photo 1 : le Grand canal en 2005 / photo 2 : la Petite Venise
en 2005) Bibliographie : La petite Venise - Histoire d'une corporation nautique,
par J. Fennebresque. 1899.
|